Le cas Mouchin
Le cas Mouchin
Plus introvertie que Mathilde Islematy et moins jolie que Camille Meyer, Florence Mouchin semble condamnée à vivre dans l’ombre des Autres Gens.
Absente non seulement du tome 1 de la bédé-novella française mais aussi de la page wikipédia qui lui est consacrée, la vie pourtant banale de F. Mouchin n’a en effet pas manqué d’émouvoir et de diviser la communauté de lecteurs. Comment expliquer que son cas, loin des exubérances des autres personnages de Thomas Cadène, ait choqué et mobilisé si largement ? Négligée, mal fagotée, dénigrée : « Flo » émeut. Elle est celle à qui rien n’arrive, celle qu’on ne voit pas, l’amie qu’on oublie. De quoi faire penser à la solitude de Jean-Claude Romand étudiant.
Mais le 22 février 2012, sur le forum de la série, Chulie, une lectrice, s’insurge contre le sort réservé à Florence Mouchin et demande la création d’un comité de soutien. Sur ce forum, on retrouve le créateur et scénariste Thomas Cadène, mais aussi les dessinateurs tel Jérôme d’Aviau, et surtout de nombreux lecteurs comme Chulie, Agachka ou Stemax. En un mot, tous les acteurs du drame Florence Mouchin se donnent déjà la réplique. Tous, sauf un.
Or les choses changent le 14 mars 2012 : Florence Mouchin, lassée, crée un compte sur Twitter et prend enfin la parole. Les premiers mots de l’étudiante en droit sur le réseau social – « quelqu’un sait comment je suis rentrée samedi soir ? » – mais aussi les mots et les images choisis par elle laissent apparaître une amertume face à la vie, un sentiment de délaissement.
Alors on s’interroge. Qui est derrière le compte de Florence Mouchin ? Si les personnes proches de l’affaire – dessinateurs, fans, scénaristes – se font rapidement une idée, rien ne filtre sur le réseau, la communauté fait bloc. Car sur Twitter, @FloMouchin se fait le porte-voix du personnage mais aussi des lecteurs. Tout y passe, les autres personnages, ses tenues, le peu d’attention qu’on lui porte. Florence va jusqu’à exprimer ses désirs quant aux thèmes et aux dessinateurs des épisodes à venir.
Réponse du berger à la bergère, Thomas Cadène, amusé et conforté dans sa théorie selon laquelle ce sont les personnages qui imposent leurs décisions au scénariste et non l’inverse, ne se prive pas de rappeler à Florence qu’elle se trompe parfois sur elle-même. Interrogé par Julien Falgas dans le cadre de sa thèse, il revient sur le cas du compte Twitter. Pour lui, ce compte met en lumière quelque chose dont il n’avait pas conscience : Florence est perçue par les lecteurs comme une loseuse. Or il s’en défend : pour lui, elle fait partie du « groupe des winners ». Quand, en avril 2012, il lui accorde enfin un épisode de répit, on s’écharpe vertement sur le forum.
Rien n’y fait, Florence l’invisible dérange. Elle doit rester la loseuse de l’ombre que l’on connaît. Aujourd’hui encore, plus de trois ans après les faits, les réflexes – ceux du comité de soutien, ceux du créateur – restent les mêmes.
Décembre 2015
Texte écrit dans le cadre du cours Écritures numériques du Master Lettres – métiers de l’écriture et de création littéraire